Tilila

Publié le par iflillis

jeune-femme.jpgTilila


Tilila est une jeune femme qui vit dans un paisible village perdu au creux des montagnes. Il est formé de petites maisons en terre, celle de Tilila est isolée en haut d’une colline. Pour y accéder ils avaient frayé un chemin en le débarrassant des cailloux. Ces cailloux jetés de part et d’autre étaient semblables à des pétales de roses que l’on aurait disperser pour accueillir les visiteurs. Derrière la petite maison au sommet de la colline, dans le vide les paysages se déroulent jusqu’à l’horizon, un horizon que faisait vaciller le soleil étalé dans le ciel comme une toison.
Tilila est son prénom d’usage, en effet à sa naissance ses parents s’étaient vus refuser ce prénom puisqu’il n’était pas conforme aux listes officielles: il est illégal. Mais peu importe, tout le monde au village l’appelle Tilila. Tilila veut dire liberté mais ici, ce n’est qu’un mot, un mot qui sonne creux, un leurre, ce n’est qu’un son, ce n’est qu’un souffle, c’est du vent qui sort d’une bouche pour mourir aussitôt. Ce mot ne trouve ici jamais d’échos nulle part.
Cette nuit encore comme il lui arrive souvent, Tilila est partie se réfugiée au sommet de la colline, au sommet de sa colline, juste derrière la maison. Elle s’asseye et contemple l’étendue qui se déploie devant elle, à cette vue elle se dit souvent « que le monde doit être vaste !». Tilila aimait par-dessus tout se retrouver, une fois la nuit tombée, seule sur sa colline. Cela avait cessé de surprendre les autres villageois depuis bien longtemps, ils disent d’elle qu’elle est à part, un peu étrange. C’est vrai que Tilila n’est pas une fille comme les autres…

Elle se rappelle alors son enfance. Tilila était de ces enfants qui n’ayant que très peu s’émerveillaient d’un rien. Vous savez, ces enfants dont le regard vous touche, vous bouleverse même au plus profond de vous tant ce regard vous rappelle à la fois toute la cruauté de se monde et l’injustice qui y règne et dans le même temps toute la beauté de ce monde et les espoirs qu’il suscite. Tilila était comme ceux là, insouciante et innocente. A ce moment précis de sa vie elle était Tilila ; libre.
Mais elle se souvient aussi avec exactitude du jour où tout cela s’est envolé. Ce jour est à jamais gravé dans sa mémoire, il est comme la cicatrice d'une blessure grave. Ce jour était son premier jour d’école ! Elle ne comprenait rien à rien, et puis d’abord qu’est ce que c’est que cette langue que l’on parle ici, ce n’était pas la sienne ? Mais ce qui avait le plus touché son esprit encore enfantin c’était ce prénom par lequel le maître l’appelait : Bouchera. Qui est Bouchera ? Alors que tout le monde jusqu’ici l’avait toujours appelé Tilila, ce qui était bien normal puisque c’est elle ; Tilila, le maître, lui, refuser. Il lui disait : « Ton prénom officiel c’est Bouchera, donc tu es Bouchera !! ». Pour la première fois de sa vie Tilila s’était sentie exclue, oppressée, insignifiante, inexistante.
Aujourd’hui encore les mots du maître résonnent dans sa tête. C’est avec frisson et horreur qu’elle en mesure mieux la signification et l’impact. Bien sûr ! Elle n’existe pas officiellement, ni elle, ni sa langue, ni sa culture. L’école n’était en fait qu’un moyen pour tenter de changer Tilila en Bouchera, en une autre. Elle avait donc rapidement abandonné l'école n’y trouvant pas sa place.

Les autres filles la prennent souvent en dérision car elle ne sait pas lire et ne connaît pas un traître mot de cette langue officielle, elle. Mais ce qu’elles ne savaient pas c’est que Tilila dispose d’une intelligence à laquelle aucune d’elles ne peut prétendre. En effet, Tilila a cette intelligence que seules les personnes qui prennent le temps de s’extraire, de prendre du recul pour mieux observer la vie et mieux la comprendre peuvent avoir. Ces autres filles se laissent porter par la vie, comme portées par un courant qui suit les sillons tracés par d’autres et par le poids du temps qui a passé. Tandis que ces filles ont appris des réponses, Tilila pose les questions.
Tilila se pose mille questions et elle a mille rêves. Elle rêve de pouvoir être elle-même ici, alors que les jeunes rêvent ici d’être d’autres et d’ailleurs. Elle se rend compte alors de la faillite d’un pays dont la jeunesse ne se rêve pas un avenir propre, mais dont la jeunesse rêve tout court. Les filles s’imaginent comme dans les séries télé, différentes de se qu’elles sont. Tilila elle veut simplement être Tilila.
Elle veut exister parmi les siens, elle veut être une femme, avoir la place qu’elle mérite et que personne n’oublie jamais, que tout le monde se souvienne que se sont elles aussi ; les femmes, qui ont permis le passée, le présent et qui permettront le futur de leur langue et de leur culture. Tilila rêve d’exister dans son propre pays, de ne plus se sentir étrangère dés qu’elle franchie les frontières de son village.
Elle rêve encore de son prénom, celui là même qui marque sa vie, elle rêve au jour où ce mot fera vibrer les cœurs et enthousiasmer les passions, le jour où Tilila sera plus que le mot qui a gravé son âme, le jour où Tilila sera l’hymne, le sceau qui marquera le futur de son peuple.
Tilila est prise comme dans une frénésie, elle ressent de la rage mêlée à l’espoir, l’impatience la gagne, elle a trop attendue, son peuple ne peut plus attendre, ne doit plus attendre, il faut maintenant transformer les rêves de Tilila en réalité.

La nature acquiesce ses pensées, la lune éclaire d’une lumière douce les paysages tandis qu’un vent léger lui caresse tendrement le visage. Ce soir encore ce seront ses deux plus fidèles compagnons. Tilila rêveuse et pensive est aussi belle que la liberté.
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